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La perte de chance de survie d’un malade du COVID-19: un contentieux prévisible?

Le 22 avril 2020
La perte de chance de survie d’un malade du COVID-19: un contentieux prévisible?

Cet article est rédigé le cœur gros. Le droit n’annihile pas les émotions. Le contexte actuel est en effet très perturbant, émotionnellement difficile. Nous sommes tous partagés entre la raison qui commande de se réjouir de ce que l’on peut avoir, de soutenir les personnes qui travaillent chaque jour pour permettre à d’autres d’être confinées, de soutenir également les personnels soignants qui sont confrontés à la mort et notre agacement, notre énervement à sans cesse entendre les difficultés rencontrées par les hôpitaux, par les EHPAD, le choix fait entre celui que l’on va tenter de sauver en l’adressant à un service de réanimation et celui, trop âgé ou déjà trop malade, que l’on va laisser s’éteindre.  

 

Le sujet est là, les difficultés que rencontrent les soignants pour soigner les malades. Notre empathie élude-t-elle la responsabilité et de quelle responsabilité parle-t-on ? L’absence de traitement des patients atteints du COVID-19 ouvre-t-elle la porte à des contentieux sur la base de la perte de chance de survie ?

 

1.     La gestion actuelle de la crise sanitaire fait-elle perdre une chance de survie à certains malades ? 

 

La perte de chance de survie est la réparation par l’indemnisation des héritiers d’un patient décédé en raison d’une faute commise par un professionnel de santé (article L1142-1 du code de la santé publique). La faute du professionnel a fait perdre au patient décédé une chance de vie.

 

Adapté à notre situation actuelle, l’arrêt de la première chambre civile du 14 octobre 2010 (n° de pourvoi : 09-69.195) est intéressant. Une femme décède des complications d’une grippe dite maligne. La faute du médecin est retenue puisqu’il n’aurait pas accordé des soins attentifs et consciencieux, retardant donc l’hospitalisation de sa patiente. L’expertise ne permet pas de déterminer si davantage de diligence aurait permis une évolution plus favorable. Toutefois, la simple « disparation d’une éventualité favorable » permet de caractériser, d’après la première chambre civile de la Cour de cassation, la perte de chance de survie et ouvre droit à l’indemnisation des héritiers. 

 

A la lumière de cet arrêt, dans le cadre de l’orientation des patients atteints du COVID-19, il convient véritablement de s’interroger sur l’opportunité d’une action contentieuse.

 

En effet, nous sommes informés que les lits de réanimation manquants, certains patients n’y sont pas admis au profit d’autres pour lesquels les chances de survie semblent plus importantes. Par ailleurs, les chiffres qui nous sont donnés sur les morts du virus isolent d’un côté les morts en hôpital et d’un autre les morts en EHPAD. Ces derniers n’ont donc pas été adressés à un service de réanimation.

 

Comment justifier une telle prise de décision ?

Le médecin, sur le fondement d’une obligation de moyens, doit mettre tout en œuvre pour tenter de sauver son patient. Par ailleurs, le patient a « compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérée… »(L.1110-5 CSP).

Cet article trouve immédiatement une exception (L.1110-5-1) pour éviter l’obstination déraisonnable plus communément dite « acharnement thérapeutique ».

Par ailleurs, le patient peut avoir rempli des directives anticipées.

Ainsi, la seule façon de pouvoir motiver l’absence d’orientation en soins intensifs des patients atteints du COVID-19 est donc de justifier qu’ils sont en fin de vie. Ce n’est pas sans mal. En effet, tout laisse à penser qu’aucune chance n’est donnée à certains patients trop âgés qui s’éteignent en EHPAD. Chaque cas devra faire l’objet d’une étude précise avec toutes les difficultés qui entourent la définition de la fin de vie : quand passe-t-on d’un état à l’autre ? Le patient a-t-il été laissé trop longtemps sans soin, mal orienté ?

 

S’il s’avère que le dossier médical expertisé démontre une faute d’un personnel soignant, même motivée par le manque de lits en réanimation, la perte de chance de survie pourra être accueillie. Bien évidemment, chaque histoire aura ses contours, chaque victime a une histoire médicale différente. Le postulat de départ est donc difficile. Mais la réalité factuelle est effrayante. Les capacités de notre système de santé ne permettent pas de soigner tous les malades de manière identique.

Si le patient était en fin de vie, une procédure précise doit avoir été respectée pour interrompre les traitements ou ne pas les tenter.

 

2.     Quels sont les droits des malades en fin de vie ?

2.1. En l’absence de directive anticipée

Les articles L.1110-5 à L.1110-5-3 du Code de la Santé Publique nous intéressent.

Ils fixent le cadre légal. Le patient a « compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérée… »(L.1110-5 CSP).

Cet article trouve immédiatement une exception (L.1110-5-1) pour éviter l’obstination déraisonnable plus communément dite « acharnement thérapeutique ».

L’obstination déraisonnable est accueillie si plusieurs conditions sont réunies. Les soins doivent être inutiles, disproportionnés ou n’avoir d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. Les traitements sont suspendus ou non entrepris si le patient exprime sa volonté. S’il ne peut pas l’exprimer, une procédure collégiale doit permettre la prise de décision.  

Dans le cadre de l’affaire Vincent LAMBERT, le Conseil d’État s’est prononcé sur cette procédure collégiale. En dehors des éléments médicaux à prendre en considération, l’expression de l’avis du patient est primordiale et celle des personnes de confiance s’il n’est pas en état de s’exprimer.

La crise sanitaire actuelle a mis sous tension tout notre système de soins. Nous pouvons nous interroger sur le respect des procédures du Code de la Santé Publique dans un contexte de gestion de l’urgence. Elles doivent être inscrites au dossier médical. Nous pourrons donc le vérifier puisque le patient ou ses ayants droits ont la possibilité d’y avoir accès conformément à l’article L.1111-7 du Code de la Santé Publique.

 

2.2. En présence de directives anticipées

 

L’article L.1111-11 permet aux personnes majeures de rédiger des directives anticipées pour prévoir le moment où, trop malades, elles ne pourraient pas exprimer leur volonté sur la poursuite ou non des traitements (https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/R44952). Elles s’imposent au médecin sauf à apparaître inappropriées ou non conformes à la situation médicale.

 

En opportunité, il apparaît que dans le cadre de la crise sanitaire actuelle, toute directive anticipée d’arrêt des traitements sera accueillie sans difficulté.

 

 

***

 

Les grèves des hôpitaux ont été nombreuses et constantes pour dénoncer les manques de moyens d’exercer, de soigner, la dégradation des conditions d’accueil, de soins. Plusieurs affaires ont défrayé la chronique. Avant le COVID-19 la mort de patients sur des lits d’attente, les retards de prise en charge avaient ému l’opinion mais n’avaient pas motivé de réponse et prise en compte des demandes des soignants. L’après crise sera certainement le moment de nombreux questionnements pour les personnes qui ont perdu leur proche dans des conditions opaques.

 

Le COVID-19 aura-t-il permis une prise de conscience gouvernementale sur la nécessité de conserver un système de santé performant ? nous l’espérons tous.